It doesn’t have to be crazy at work. (Arrêtons de bosser comme des fous, en français) : c’est le dernier livre écrit par les dirigeants américains de l’éditeur de logiciels, Basecamp. Jason Fried et David Heinemeier Hansson y développent une vision du business quasiment subversive tant elle va à l’encontre de l’imagerie actuelle de l’entrepreneur.
J’ai découvert le travail de Jason Fried, ses punchlines (“Busy is the new stupid” ) sa vision souvent originale de “La Tech” et du monde des start-up grâce à mon ancien collègue développeur Jeremy Lecour. J’ai déjà mentionné dans mon post sur le travail remote un livre écrit par Jason Fried : Remote. Il possède un délicieux sens de la formule teinté d’un brin de provocation dans un univers qui ressasse un peu ses mantras du type “Sky is the limit”. Dans ce contexte, Crazy at work propose au contraire des formules qui encouragent à limiter ses ambitions et défendre son temps libre. Bref à mille lieux de la course à la performance servie sur le web en général et sur les réseaux sociaux en particulier. J’ai pioché parmi mes titres de chapitres favoris :
“Notre objectif : pas d’objectifs”
Ainsi les auteurs résument-ils cette habitude de ne PAS se fixer d’objectifs business. Ils affirment que depuis 20 ans, leur société, Basecamp, s’est développée sans que soient établis des objectifs de vente, de nombre de clients, ni même de croissance financière. Attention, cette déclaration ne signifie pas qu’ils se complaisent dans un ronron sans recherche d’amélioration. Simplement pas de business plan ni d’objectifs à 5 ans. Faire, essayer, construire et améliorer en avançant, comme l’explique Jason Fried l’explique ici.
Selon lui, les objectifs traduisent la projection d’une réalité fabriquée de toute pièce à l’instant T où l’ont fixe le plan et ils font peser une pression qui n’est pas nécessaire. Ils répondent à des attentes artificielles qui entraînent un stress inutile et un gros risque de perdre son intégrité au nom d’objectifs à atteindre. Pourquoi s’imposer cette pression arbitraire quand il est déjà assez difficile de faire du bon travail, créatif et productif ? Pourquoi ne pas choisir des objectifs non quantifiables (et là les tenants des objectifs établis suivant la méthode SMART - mesurables donc - ont les yeux qui saignent) ? Soigner ses clients, durer dans le business, donner envie à ses collaborateurs de venir travailler, voilà le projet. Faire les choses au fur et à mesure et apprendre en avançant, sans trop se prendre la tête. Pas de feuille de route pour l’amélioration des produits, pas de promesses faites aux clients.
“Ne changez pas le monde”
Le monde professionnel ne souffre-t-il pas d’une course effrénée à la disruption ? C’est en tout cas ce qu’affirment les auteurs qui suggèrent plutôt de respirer un bon coup et de se concentrer sur leur produit ou leur service avec une approche un peu plus modeste. Finalement ne proposent-ils pas une définition d’une certaine forme d’artisanat ? Une gestion du travail en bon père/mère de famille, sans inflation de moyens, avec l’ambition de vivre sa vie au cours de ce processus. Avant de changer le monde, songer à faire du bon travail est déjà une forme d’ambition très honorable et un peu plus supportable.
“Quand le travail ne se fait pas au bureau”
On le savait, les auteurs sont de fervents adeptes du travail remote. Avec cette affirmation, ils avancent la thèse que les bureaux sont des endroits défavorables au travail. Ils n’ont pas tort : qui n’a jamais préféré rester chez soi pour rédiger un document qui nécessite du calme ? Ou préféré la sérénité des heures très matinales ou très tardives pour avancer sur un dossier sans être dérangé ? C’est un peu le coeur de cible des théories de Jason Fried, cette idée que la vie de bureau en général avec son cortège de réunions, d’interruptions, de hiérarchies pénibles et de sonneries de téléphone - Jason Fried les appellent les M&M’s, Managers and Meetings - ne se prête pas à la production de travail de qualité. Il a d’ailleurs présenté une Conférence Ted sur le sujet.
“Pourquoi pas rien ?”
Dans ce chapitre, les auteurs défendent l’idée que “rien” est une option à considérer au même titre que toutes les autres. Illustrant ainsi parfaitement l’idée que le mieux est l’ennemi du bien, ils expliquent qu’il leur est arrivé de faire une pause, voire de renoncer à certains développements de leur produit afin de ne pas le dénaturer, ni le faire perdre en qualité pour certains clients. Lutter efficacement contre le perfectionnisme, en somme.
“Défendre son temps libre” / “Le confort c’est cool” / “Le mythe du travailleur acharné” / “Nous ne sommes pas une famille” / “Laissez tomber la guerre des talents” / “Promettez de ne rien promettre” / “Faites des concessions sur la qualité” / instaurer des “Des règles de bibliothèque”
Très sincèrement, j’ai envie de citer quasiment chaque page, tant elles accumulent les formules souvent drôles, intrigantes et pertinentes. J’imagine bien que certaines sont plus difficiles à mettre en application que d’autres, que tous les entrepreneu.rs.es (et là on ne parle même pas des salarié.e.s) n’ont pas toujours le choix de protéger leur vie privée et leur temps libre. Ou toute autre objection que l’on pourra leur opposer (quelles sont les vôtres d’ailleurs si vous en avez ? Dites moi tout en commentaires !). Je trouve néanmoins intéressant qu’ils osent proposer un point de vue débarrassé des injonctions à la croissance à tout prix et d’un modèle unique de business. Le tout émaillé d’exemples très concrets tirés de l’histoire de Basecamp. Je vous encourage donc très vivement à lire ce livre et à me donner votre avis.
Arrêtons de bosser comme des fous ! - Jason Fried - David Heinemeier Hansson - Ed : Maxima