Michel Athenour, c’est mon ancien boss. J’ai travaillé directement à son contact dans le cadre de deux boîtes différentes : Cityvox (le guide de sorties racheté par Yelp en 2014), ainsi qu’Autrement, sa boîte actuelle éditrice de sites de sélections d’hôtels. Au total, plus de 10 ans à travailler ensemble, c’est dire que l’on se connaît plutôt bien. J’ai énormément appris à son contact. Notamment en matière de management : Michel est aux antipodes d’un chef autoritaire. Il gère ses équipes avec un énorme crédit confiance, des échanges d’égal.e à égal.e et un calme hautement appréciable quand on a déjà travaillé avec une hiérarchie un peu caractériel.le, impulsive (dans le mauvais sens du terme), ou passive-agressive. Le genre de manager qui a pris le risque de m’embaucher en remote (je raconte d’ailleurs ce mode de travail dans un post) alors que je partais m’installer dans un autre pays. Bref, un super boss. J’admire également beaucoup son esprit analytique : quelle que soit la problématique, Michel parvient à la découper en parties avec des étapes, des chiffres, des objectifs clairs. Il a accepté de me raconter ses journées et son activité généreusement : en rentrant dans tous ses petits détails et anecdotes, comme j'aime.
Michel, quelle est ta définition de ton métier ?
Actuellement, j’en vois 2 au sens de “métier” classique : depuis 10 ans, je suis fondateur et dirigeant d'une petite entreprise qui édite des sites web sur les hôtels. La société a connu des haut et de bas. Durant une période, nous étions à plein temps avec 8 personnes et des exigences de rentabilité, de croissance et de résultats très fortes. Et maintenant nous sommes dans une phase plus light car la société est plus petite et plus facile à gérer. Elle est rentable, ce qui n'était pas le cas avant.
Depuis 3 mois je suis également DG à mi-temps d'une boîte déjà bien établie - 21 ans d’existence - qui fait 10 millions d'euros de CA et qui vend du matériel de sport et d'activités nautiques en ligne.
Et j'ai des activités en parallèle : je fais un peu d'investissement immobilier, plutôt patrimonial. Je suis passionné par les vieilles pierres et me suis lancé dans des projets de rénovation immobilière. En plus de ça, je m’investis dans des activités bénévoles : je suis trésorier de l’association qui s'occupe du Festival Marsatac à Marseille, ainsi que d'une compagnie de théâtre. Enfin, je fais partie du board de 2 petites sociétés, pour veiller, accompagner et aider les fondateurs. Ces dernières activités représentent chacune 2/3 heures par-ci par-là mais quand on en a plusieurs, l'agenda se remplit bien !
Ton expertise est surtout digitale si on suit les grandes lignes de ton parcours jusqu’à présent ?
Oui, je suis dans le digital depuis 20 ans, je suis un ancien de cet univers, presque un dinosaure. J’y ai appris des compétences techniques, "métier", qui sont liées à cet univers, ainsi qu’une expérience plus qu'une compétence sur la création, la gestion d'entreprise, des problématiques de management, de ressources humaines, de financement, de levée de fonds qui peuvent être utiles dans mes nouvelles activités. Et aussi dans mes activités de types board. C'est ce qu'on vient chercher quand on me sollicite pour ça.
Pour citer les boîtes qui ont émaillé mon parcours : j'ai travaillé dans un Cabinet de conseil en stratégie anglo-saxon OC&C créé par des ancien de McKinsey. C’est mon premier métier : consultant. J’en ai apprécié la diversité car tu travailles sur des missions variées avec une grande exigence en termes de quantité de travail et de tâches analytiques. En revanche, tu conseilles, donc tu ne fais pas, ce qui était un peu frustrant. J’ai également co-fondé Cityvox, le guide de sortie racheté par Yelp en 2014.
Avais-tu une vocation enfant ?
Il paraît que petit, à cette question je répondais : soit ébéniste, soit gardien de refuge, donc on va dire que c'est un échec total ! Mais la vie n'est pas terminée (rires). Blague à part, j'avais un papa prof et entrepreneur (ça existe !) donc j’imagine que l’idée de l’entrepreneuriat a du infuser. En revanche, je me souviens très bien de la première fois que j’ai vu une page web. C’était avec un copain un peu geek comme moi, et on était dans un des premiers cyber cafés à Paris. J’ai oublié la date mais je me souviens de la sensation au moment de cliquer sur le lien bleu. Je me suis dit "C’est extraordinaire, il faut que je travaille un jour là dessus, ce truc est énorme, ça va changer le monde c'est sûr”. Et cette intuition était juste ! Ceci dit, j’étais loin d’être le seul, on a été quelques uns à se jeter dans la première vague web (rires).
Quand j'étais consultant en stratégie, ça devait être en 1997, dans une période de creux, on m’avait donné l'opportunité de travailler sur un sujet de mon choix et j'avais choisi “L'Impact d’internet sur le marché du voyage” ! Je me disais que le voyage, c'était de l’information qui circulait plutôt qu’un produit physique et ça me paraissait être plus vite voué à évoluer que dans les autres domaines. Comme quoi la première graine est assez ancienne.
Comment se passe ton quotidien alors, tu as des semaines structurées ?
J'ai une semaine un peu rythmée par mes différentes responsabilités, donc suivant les jours ce n’est pas la même routine : le lundi et mardi je suis au au co-working - un super espace de travail avec vue sur le Vieux Port - pour ma société Autrement. Le lundi est la journée où, traditionnellement, mes collègues sont présents, sachant qu'ils sont en partie en remote. Echanger et faire des réunions mensuelles avec eux me permet de structurer des choses dans la semaines. Le mercredi et le jeudi, je suis dans la société où je suis DG à mi-temps, à l’extérieur de Marseille. Et le vendredi je suis soit au co-working, soit chez moi. Et j'ai des petits points fixes avec mes cours de théâtre (mardi soir) et de guitare (vendredi soir) chaque la semaine.
Zoomons maintenant sur le déroulement de tes journées. Est-ce qu’elles suivent toujours la même structure ?
J’essaie d’avoir des horaires classiques, sachant que j'ai des réflexes scolaires assez ancrés. Même en ayant ma boîte, j’ai eu du mal à m’affranchir de l'idée de bosser du lundi au vendredi de 9 à 19h. Alors que mes activités me permettent de travailler n’importe quand en réalité. Mais j'ai du mal à le faire, mon côté bon élève sans doute… Aller faire du paddle un mardi matin, c’est comme faire l’école buissonnière, je me dis que ce n’est pas bien, que j'ai des actionnaires, des objectifs élevés. Mais je progresse ! Notamment le vendredi où je travaille de chez moi, ce que je fais plus par plaisir que par devoir. En revanche, je m'autorise à faire de l'aviron dans la matinée par exemple.
As-tu des rituels pour démarrer la journée ?
Plein ! J'en ai un récent : ne pas allumer mon ordi tout de suite le matin et prendre mon cahier pour écrire ma to do list de la journée. En séparant mes diverses activités. Ainsi, plutôt que de rentrer tout de suite dans le vif du sujet je garde un peu de recul. Je fais ça le lundi matin et je vais l’alimenter le reste de la semaine sur la même page et cocher au fur et à mesure. Je suis même capable de rajouter un truc que j’ai déjà fait juste pour le plaisir de le cocher (je fais ça aussi !!! ).
Mon deuxième rituel est immuable : je consulte une quinzaine de pages web tous les matins ! D'abord je regarde mes stats, analytics, les ventes, l’audience, tout ce qui concerne l'activité de ma société et de l'autre société. Je dois connaître mes chiffres de la veille pour démarrer la journée, pareil pour le début de semaine précédente, de mois. Ensuite, je passe aux onglets météo, pour des questions pragmatiques d’impact sur mon emploi du temps : température de l’eau de mer, hauteur des vagues, force du vent, les précipitations de neige en montagne et la météo standard. Comme ça je sais si je peux faire du kite, du paddle, nager en mer, prévoir un week end au ski, Et même si j'ai pas le temps d'aller en montagne je suis content de voir qu'il a neigé ! La dernière catégorie est plus perso : mails, banque, logistique, immobilier etc. La consultation de toutes ces pages est très rapide, ça ne me prend même pas 15 mn. Tu connais ma théorie sur les chiffres : à partir du moment où on commence à regarder une variable, elle se met à changer. (Michel est un un pro - et peut-être est-ce une légère addiction - d’Excel. Il en maîtrise à la perfection toutes les fonctions, de la recherche V au tableau croisé dynamique. Il est un peu mon gourou en matière de traitement des données chiffrées).
Quel est ton rythme naturel ? Notamment le moment où tu es le plus productif ?
C'est le matin que je suis le plus efficace : j'ai l’esprit clair et la meilleure productivité, en particulier la première partie de la matinée. Ensuite j'ai un petit coup de mou en début d’après-midi, il peut d’ailleurs m'arriver de faire une sieste vers 16h30 si j’en ai la possibilité. J'ai un nouveau boost en fin de journée. En général, je m’organise pour me consacrer à des activités à certains moments de ma semaine ou ma journée qui nécessitent un usage de mon cerveau moins intense. Par exemple, si je prépare mes stats d'activités dans un fichier excel. J'aime ce genre d'activité qui me permet de mettre un peu mon cerveau en pause. Il a besoin de travailler un peu bien sûr, mais le côté répétitif est rassurant, on utilise moins de bande passante cérébrale.
Dans quel environnement travailles-tu le mieux ? De quoi as-tu besoin pour être à l’aise pour travailler : du matériel, un environnement particulier ?
Je peux travailler de presque partout. Néanmoins j'aime bien avoir un environnement de travail bien à moi. Dans mon co-working, j'ai mon espace attitré avec mon écran. Je gagne ainsi un peu de temps le matin.
J'ai quelques TOC : quand je suis en mode réflexion, j'ai toujours besoin d'avoir un stylo ou un porte-mine dans la main, même quand je suis debout, au téléphone. Le crayon est alors presque le prolongement de mon cerveau et j’ai la sensation de manquer de capacité sans l’avoir en main.
Quelle tâche ou phase de travail te plaît le plus ?
J’aime bien savoir où j’en suis, donc ça me plaît de faire un bilan hebdo ou mensuel. Pour le côté rassurant d'être en phase avec ce que j'ai prévu. En général, je suis assez bon en prévisions et business plan, je ne me trompe pas trop. Savoir que je suis à peu près en ligne avec mes objectifs doit générer de la sérotonine dans mon cerveau et ça me fait plaisir ! Sinon en termes de gratifications, je tire une grande satisfaction des interactions avec des tiers : réunions, appels, tête-à-tête. Un échange dont il va sortir quelque chose m’enrichit énormément.
A contrario, quelles sont les tâches que tu détestes mais qui sont inévitables ?
Je détestais faire la compta et les frais, notamment parce que je le faisais annuellement.. Il fallait chercher des justificatifs, il manquait toujours un papier. Désormais, je le fais selon un rythme mensuel, c'est une activité plus répétitive et process que je range dans la partie qui économise du cerveau. Du coup ça va beaucoup plus vite. Sinon, il peut m’être un peu pénible de voir que des interlocuteurs n'ont pas le même niveau des respects des engagements que moi. Par exemple, si je pose une question dans un mail et que je n'ai pas de réponse au bout de plusieurs jours. Et que le sujet reste non traité. Je ne comprends pas ce manque de réponse.
Es-tu du genre tout digital ou carnet et stylo ?
J’essaie de maximiser le nombre de trucs en digital. Moins j'ai de papier, mieux je me porte. En revanche je garde un cahier qui est consubstantiel à mon laptop : je ne me déplace pas sans les deux. Et mon stylo bic 4 couleurs, indispensable.
Multitasking ou mono-tâche ?
Plutôt mono-tâche. Déjà je ne peux écouter de la musique qu’en faisant des tâches répétitives. En revanche, je suis capable de passer d’un sujet à l’autre assez vite. Je réponds rapidement aux messages sur Slack ou Messenger et ça peut interrompre mon activité. Mais en général, si je lance un truc, je le termine.
Rapide ou lent ?
Je suis hyper rapide, ça me permet de gagner du temps pour aller sur les réseaux sociaux, par exemple ! Je préfère avoir du mou, pouvoir me relire, etc. Je déteste finir au dernier moment, je préfère éviter d'être charrette. Ça m’arrive - on ne maîtrise pas toujours tout - mais quand je peux l'éviter par mon organisation, je n’hésite pas. De la même façon, je n'arrive pas à la gare 4 mn avant le départ d'un train. Pour moi c'est du stress pour rien (je suis teeeellement d'accord).
Es-tu toujours efficace ou t’arrive-t-il de procrastiner ?
Il m’arrive de procrastiner mais assez peu. Quand je me surprends dans ce cas, je me dis "T'es pas en train de procrastiner là ? Allez ! Fais-le, ça prend 2 mn !". Et ça marche assez bien.
Comment te motives tu les jours difficiles ?
Les jours où, exceptionnellement, je suis crevé, je peux être assez vite HS. Dans ce cas, je fais ce qu’il y a à faire et que je ne peux pas reporter et je rentre me reposer, tout simplement. À l’inverse, si j'ai une insomnie, je ne lutte pas et je peux aller au bureau super tôt. C’est l’avantage de pouvoir gérer son temps comme on le souhaite.
Dans ton parcours, y a-t-il un domaine dans lequel tu as du sortir de ta zone de confort et sur lequel tu as progressé ?
Les problématiques de management peuvent être compliquées. Être confronté à quelqu’un qui n'est pas heureux dans son travail, ou qui a une réaction inappropriée… Une personne à qui tu dois annoncer une nouvelle difficile. On est dans l’humain et c’est forcément plus sensible. Dans ce genre de situation je ne l'appréhende pas, j’essaie de le préparer, j’affronte la difficulté. J'ai progressé, c'est aussi le privilège de l'expérience de désacraliser les choses que l’on redoutaient avant. Comme rencontrer une personnalité connue dans le business, faire une levée de fonds, vendre ta boîte. Je pense qu’il faut dédramatiser tout ça, je ne suis pas un médecin qui fait pas des opérations à coeur ouvert !
Quel est le meilleur conseil professionnel que tu aies jamais reçu pour ton travail ?
Le meilleur, c'est mon ami Cyril qui me l'a donné : à une époque où on essayait de faire une levée de fond et où on avait beaucoup de mal, je croise ce copain, lui aussi entrepreneur, et je lui raconte où j’en suis : que je rame. Il m'a dit "Prends une semaine de vacances…”. Nous étions au mois de novembre… Je lui réponds que c’est impossible car j’ai lancé des lignes pour trouver de nouveaux actionnaires et des fonds d'investissements. Finalement, j’ai suivi son conseil. Et c'était vrai : le monde ne s’arrête pas de tourner quand tu prends une semaine de vacances. Je le savais mais j’ai eu l’occasion de l’expérimenter. En rentrant, tout s’est mis en place petit à petit. J’étais plus reposé et serein pour avoir la bonne attitude vis-à-vis de mes interlocuteurs.
J'ai reçu deux autres excellents conseils donnés par l’un de mes premiers boss. Le premier : "Michel, arrête de tourner autour du pot et de prendre des précautions oratoires. Dis les choses tout de suite, de façon explicite et directe. Quel que soit le sujet. Regarde la personne dans les yeux et confronte-toi à l’autre." Ça m'a simplifié la vie mille fois. Dans le même ordre d'idée, cette personne m'a dit aussi : "Souvent dans une réunion importante et potentiellement conflictuelle, c’est comme au rugby : les 5 premières minutes, on se donne des “bourres pifs” et on voit ce que l'autre a dans le ventre. Après, ça va beaucoup mieux". Au delà de la métaphore rugbystique, ce conseil complète le précédent. Il permet de gagner du temps. Arrêter d'enrober les choses avec l’autre et lui rentrer dedans, tout à fait respectueusement bien sûr ! La personne est alors obligée de réagir. Dans certains cas ça m'a bien aidé de pousser les gens à sortir de leur zone de confort.
As-tu des mentors ? Des Modèles ?
Je peux citer l’un de nos actionnaires, Philipe Harache dont j’admirais la sérénité et la capacité à affronter les vents contraires, tout en étant toujours agréable et futé. Avec lui, j’ai appris qu'on pouvait faire face à de grosses tempêtes sans être obligé d’être un gros excité, ni mal se comporter.
Je ne sais pas si on peut parler de modèle mais Elon Musk m’impressionne par sa capacité à modifier un business grâce à des innovations de rupture énormes suivies d’une exécution bluffante. Il s’attaque aux industries les plus capitalistiques et le plus fou c’est qu’il arrive à tout changer ! En revanche, je ne suis pas sûr qu’il soit le plus agréable à vivre dans sa vie privée !
Et quel est ton plus gros challenge actuel ?
Arriver à tout concilier : j’ai beaucoup de projets, d’envies. Je voudrais en particulier m’investir dans la rénovation immobilière avec une nouvelle approche et je n’ai pas encore réellement le moyen de le faire. C'est un défi en terme de temps, de modèle économique, de financement et de circonstances. J’ai décidé de m’accorder du temps sur ce sujet car l'immobilier se fait sur une autre échelle temporelle. J’espère un jour y arriver et que tout se synchronise entre les moyens, le produit adéquat, mon emploi du temps et mes responsabilités.
Comment arrives-tu à équilibrer vie perso et vie pro et prendre soin de toi ?
Bonne question. J’y suis très attentif. Il n’y a pas grand chose que je place au-dessus de ma santé. Le boulot passe après plein de choses : je fais très attention à mon sommeil, à avoir une activité sportive régulière, je veille également à m’intéresser à d’autres choses que mon travail. Je prends mes vacances, alors que la tendance courante est de ne pas trop en prendre quand tu es entrepreneur. Je m’organise pour être bien dans mes baskets, bien avec mon entourage. Pas de concessions là-dessus. D’une part parce que ça m’apaise et d’autre part parce que j'ai toujours pensé qu'Il ne fallait pas mettre toute son énergie sur un seul sujet, qu’il s’agisse de ton couple, de tes enfants, tes amis, ton job même quand tu es entrepreneur.
Ceci dit, j’ai la chance de me réaliser dans mon travail. Je n'ai jamais la déprime du dimanche soir et ça fait 20 ans que ça dure (rires). Le lundi je sais que je vais faire quelque chose qui me plaît. Mieux que ça : je vais découvrir les chiffres de la semaine ! Bon, j'arrête avec les chiffres, je vais passer pour un psychopathe ... Bref, j'aime ce que je fais, même si je ne suis ni ébéniste, ni gardien de refuge !